Les dessous de la loi renseignement

Publié le 19/05/2015
Par Yazan

Vous sentez vous plus en sécurité depuis le vote de cette loi sur le renseignement? Moi non... Bien au contraire, j'aurais même tendance à la trouver terriblement inquiétante et liberticide. Et je suis loin d'être un cas isolé!

Bien sur, il serait illusoire de croire en la stabilité d'un système dépourvu de tout renseignement intérieur tant les pressions déstabilisatrices par noyautage de la société civile sont nombreuses: Systèmes mafieux, organisations anarchistes, terroristes, puissances étrangères, nombreux sont ceux qui doivent être maintenus sous surveillance étroite afin de préserver l'intérêt général du chaos dans lequel nous plongerait une société trop permissive.

Certes la surveillance de masse existe depuis toujours. Nous sommes tous fichés auprès de ces services du renseignement intérieur: De l'outsider politique au président d'une petite association, en passant par l'ami d'un anarchiste se réclamant d'une mouvance écologiste à Sievens, sans oublier le cousin germain du gars nouvellement marié à une belle immigrée russe, ce renseignement ratisse large, mais il n'a jamais vraiment plongé l'opinion publique dans une paranoïa extrême car il est avant tout cadré par le législateur. Ici, la philosophie est avant tout: "Vous ne saurez jamais vers quoi notre regard est braqué, mais vous connaissez le cadre légal de cette surveillance". Le citoyen n'en demande pas plus, au fond...

Mais depuis le dossier Snowdern, on sent bien que cette belle théorie n'est plus de mise... Il y eut la surveillance de masse illégalement instaurée par la NSA mais soyons objectifs, seul le citoyen Américain est légitime pour revendiquer le respect de fondements démocratiques au sein de sa propre république. Néanmoins, dans le sillage de ces révélations, ce fut un flicage systématique par l'ensemble des puissances de la planète qui fut étalé sur les places publiques. Pour le cas français, le journal Le Monde révélait en juillet 2013 l'existence de 3 niveaux dédiés à la surveillance de masse dans les sous sols du siège de la DGSE: Le second centre de serveurs informatiques européens après son équivalent anglais, doté d'une capacité d'interception évaluée (à l'époque) à 1 milliard de communications à la seconde, le tout, vous vous en doutez, dans la plus stricte illégalité, sans contrôle aucun, et venant alimenter de multiples services de l’État: Renseignement intérieur, douanes, préfecture de police, etc... De nombreuses sources affirmèrent à l'époque qu'il était courant que ce renseignement généralisé vienne même nourrir des procédures judiciaires en qualité de "sources anonymes" à l'encontre du fondement même de l'instruction pour laquelle toute intrusion dans notre intimité se doit d'avoir été préalablement autorisée par la justice elle même!

Au final, la loi sur le renseignement votée en mai 2015 n'est autre qu'un prétexte destiné à "légaliser" ce Big Brother à la française. Il aura fallu 2 ans et un contexte post-terroriste pour que l’État ne s'autorise un vote qui, en d'autres temps, aurait surtout suscité l'indignation et le rejet. Mais là où le citoyen français eut été en droit d'attendre un cadre fixant les règles du jeu et limites de ce patriot-act à la française, la loi portée par Valls résonne au contraire comme une régression liberticide: Non seulement elle conforte le renseignement français dans sa prétention de faire ce qu'il veut comme il veut, elle n'instaure aucun contrôle, mais pire encore, elle étend ses ramifications jusque d'obscures boites noires imposées aux fournisseurs d'accès internet. Au nom de la lutte anti-terroriste? Balivernes! Vous en connaissez beaucoup des terroristes qui échangent par courriel ou SMS au moment de fomenter la pose d'une bombe? Que dissimule donc alors cette loi sur le renseignement, et pourquoi tant d'associations attachées à notre liberté d'expression s'alarment-elles à ce point?

Dessin François Hollande aux ordres de Goldman Sachs sur la loi renseignement

A la fin de l'année 2010, les rédactions du Monde, du Point et de Mediapart furent frappées par une mystérieuse endémie de vols d'ordinateurs portables. L'affaire en serait restée là si les journalistes ciblés ne partageaient pas un même centre d'intérêt: L'affaire "Woerth-Bettencourt"! Peu de temps après, le Canard Enchaîné révélait que l’Élysée aurait personnellement mandaté le directeur de la DCRI (le renseignement intérieur) de s'intéresser de près aux journalistes enquêtant sur ce dossier. Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée, s'empressa de déposer plainte pour diffamation ne manquant pas au passage d'en faire grand fracas dans les médias, mais étrangement, comme souvent dans ce cas de figure, il se fit beaucoup plus discret au moment de retirer cette plainte avant l'échéance d'un jugement qui lui eut probablement été préjudiciable. Et au travers de ce ramdam médiatique, nombreux sont ceux qui décryptèrent ici une tentative d'intimidation non pas des journalistes mais bien plus de leurs informateurs.

Et ce sont bel et bien ces informateurs au sens large, des lanceurs d'alertes faisant trembler les puissants, qui se retrouvent dans le collimateur de la loi renseignement. Dans un contexte de conflit d'intérêt et corruption croissante au sein de la gestion de nos démocraties modernes, la loi Macron votée en début 2015 - ce fourre tout incompréhensible de "modernisation" de l’État - ne manquait pas d'introduire sous influence de lobbies économico-financiers une notion de délit pour violation du secret des affaires! Concrètement, quiconque prenant connaissance et/ou révélant sans autorisation une information protégée au titre du "secret des affaires" est désormais répréhensible de trois ans d'emprisonnement ainsi que de 375 000€ d'amende. Officiellement, le monde de l'entreprise réclame une garantie de protection de ses secrets industriels... Officieusement, des multinationales (seules organisations suffisamment puissantes pour influencer ainsi le vote d'une telle loi) s'autorisent le droit de magouiller dans l'ombre comme elles l'avaient déjà fait avec le secret bancaire en son temps. De quoi intimider plus d'un citoyen responsable détenteur d'informations compromettantes pour ces puissants! A côté de ceci, notre Guéant en mode "gros bras petite bite" peut bien retourner jouer à la dînette!

Mais un problème de taille persistait: Comment traquer et identifier ce lanceur d'alerte? C'est ici que la loi renseignement complète à la perfection le dispositif Macron. En imposant à nos fournisseurs d'accès internet des boites noires capables d'intercepter toute communication numérique, des outils comme TOR - derniers remparts informatiques de l'information citoyenne libre sur lequel butait encore ce renseignement français - deviennent désormais inopérants (j'évoque ce sujet dans "comment riposter à la loi sur le renseignement"). L'Etat français ne disposait pas de la capacité d'interception d'un PRISM à la sauce NSA, alors il créa la boite noire. 

Pour qui considère la finance internationale et ses ramifications comme toxiques vis à vis de l'intérêt général, voyez comme un dispositif Macron associé à une loi renseignement peuvent mettre en péril ce statut de lanceur d'alerte. Le renseignement français peut bien afficher officiellement sa volonté de lutte contre le terrorisme, mais en se mettant au service de multinationales soucieuses de protéger leurs petits secrets, ce ne n'est au final qu'une forme moderne de terrorisme économique qu'il promeut.

Oui, la liberté de la presse est désormais en danger, la voici cette face inavouée honteuse et liberticide de la loi renseignement, mais dormez tranquilles braves gens, car vous êtes sous surveillance!




 



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